Hier je suis allée à la médiathèque. Première visite depuis le confinement. Je suis repartie chargée. Riche de pages à découvrir, de mots à savourer, d’images, d’idées, de savoirs, et de cette réjouissance: savoir que la culture peut, malgré tout, continuer à nous nourrir, à nous relier.
Joie prochaine de découvrir "Les roses fauves", dernier roman de Carole Martinez, qui renoue avec l’univers flamboyant du «Coeur cousu» qui l’a fait connaître. Une histoire de femmes, de liberté, de transmission. Hâte de m’y plonger.
Alors ce matin, j’ai envie de vous partager quelques pages qui me touchent. Extraits de livres écrits par des femmes, justement. Leurs mots tour à tour m’éveillent, me réconfortent, me forcent à regarder le monde et me remettent face à moi-même. Belle (re)découverte.
Un texte sur l'écriture, sous la plume de Frédérique Deghelt, dans Agatha, biographie romancée d'Agatha Christie...
«Je nage inlassablement. Je n’ai jamais fait autant de longueurs de ma vie. Je nage comme une forcenée. Je tente de flotter, de regarder mon chagrin tomber au fond, toute la lourdeur que
je charrie le reste de la journée. Nager, c’est comme écrire. On ne peut atteindre rapidement le point qu’on s’est fixé au loin. On ne peut pas courir dans l’eau. Il faut le rejoindre patiemment.
Il faut traverser en sentant ce qu’on traverse. Prendre le temps de sentir. Il faut se laisser traverser également, et dans ce moment hypnotique du mouvement dans l’eau, ne plus savoir si c’est
elle qui nous fend ou nous qui la pénétrons… Ainsi le point se rapproche au fur et à mesure de ces brasses ou de ces mouvements crawlés, et seul le son de notre respiration, le rythme du souffle
de l’air dans l’eau demeure.»
Frédérique DEGHELT, Agatha, Plon 2017, p158
De Muriel Barbery, connue pour "L'élégance du hérisson", je ne sais que citer, tant les perles sont nombreuses dans "La vie des elfes" et sa suite "Un étrange pays", merveilles de poésie et d'humanité, ode à la nature sauvage, récit vibrant où guerre et amour se mêlent, et où artistes et paysans ne sont pas si différents.
«Mais que voit-on au dedans de la vie? On voit des arbres,du bois, de la neige, un pont peut-être , et des paysages qui passent sans que l’œil puisse les retenir.
On voit le labeur et la brise, les saisons et les peines, et chacun voit un tableau qui n'appartient qu'à son cœur, une courroie de cuir dans une boite en fer- blanc, un coin de champ où
il y a des aubépines par légions, le visage ridé d'une femme aimée et le sourire de la petite qui conte une histoire de rainettes. »
Muriel BARBERY, La vie des elfes, Gallimard 2019
Jeanne Benameur, écrivain jeunesse et adulte, a une plume militante, forte et poétique à la fois. De son livre "Ceux qui partent", on ne peut je crois ressortir indemne. Il va chercher au fond, dans ce qui nous lie tou.te.s en tant qu'humain.e.s, et nous montre les rencontres possibles, les enrichissements mutuels, et les chemins impossibles. Je vous laisse juge.
« Les émigrants ne cherchent pas à conquérir des territoires. Ils cherchent à conquérir le plus profond d’eux-mêmes parce qu’il n’y a pas d’autre façon de continuer à vivre
lorsqu’on quitte tout.
Ils dérangeront le monde où ils posent le pied par cette quête même.
Oui, ils dérangeront le monde comme le font les poètes quand leur vie même devient poème.
Ils dérangeront le monde parce qu’ils rappelleront à chacune et à chacun, par leur arrachement consenti et leur quête, que chaque vie est un poème après tout et qu’il faut connaître le
manque pour que le poème sonne juste.
Ce sera leur épreuve de toute une vie car lorsqu’on dérange le monde, il est difficile d’y trouver une place.
Mais leur vaillance est grande.
Il y a tant de rêves dans les pas des émigrants qu’ils éveilleront les rêves dormants à l’intérieur des maisons. Cela effraiera peut-être des cœurs endormis. Des portes resteront closes.
Mais ceux qui espéraient confusément, ceux qui sentaient que la vie ne doit pas s’endormir trop longtemps, regarderont par la fenêtre. Ils entrouvriront leurs portes et leur cœur battra plus
fort.
Les émigrants annoncent que c’est un temps nouveau qui commence.
Un monde où pour mener et le souffle et le pas, il n’y a plus que la confiance.
Ils apportent avec eux le monde qui va, le monde qui dit que les maisons et tout ce qu’on amasse n’est bon qu’à rassurer nos existences si brèves.
Un monde qui est prêt à apprendre une langue nouvelle, même si la peur de perdre sa langue première fait vaciller les sons dans les gorges.
Un monde qui sait que rien n’appartient à personne sur cette terre, sauf la vie. »
Jeanne BENAMEUR, Ceux qui partent, Actes Sud 2019 (p144-145)
C'est tout pour aujourd'hui! Belles lectures...
PS :
L'activité du jour?...
Eh bien... vous trouverez bien un livre à vous mettre sous la dent, non?
Si vous préférez écrire, ne vous gênez pas!
Et si l'envie vous vient, vous pouvez même adresser une lettre à une personne âgée en maison,
via le site Une lettre un sourire. Les enfants peuvent aussi participer en faisant un dessin.
Ainsi on lie l'utile à l'agréable...
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Christelle (vendredi, 11 décembre 2020 21:07)
Il y a des jours qui semblent longs à traverser et où seule la perspective d'un bon bouquin sous la couette me maintient à flot. C'est le cas d'aujourd'hui. Zou, au lit.